En ouvrant une rubrique « Jean Jaurès, hier et aujourd’hui » République et Socialisme propose de donner régulièrement la parole à ce grand homme, comme autant d’ interpellations à nos gouvernants d’aujourd’hui.
Face à leurs propositions et actions, et à l’exemple de cette intervention à la chambre des députés il y a 120 ans, devant le gouvernement de Charles Dupuy, Jean Jaurès rappellerait le sens de l’idéal socialiste, comme autant d’arguments pour que d’aucuns n’oublient pas que l’idéal dans sa phrase fameuse : « Aller à l’idéal et comprendre le réel » doit demeurer l’objectif crédible de l’émancipation des êtres humains, et ce sans jamais se renier devant la « réalité » imposée par le capitalisme.
J. P. Fourré* (J. P. Fourré et Secrétaire National de République et Socialisme, ancien vice-président de l’assemblée Nationale)
2014 sera un temps fort de la mémoire de Jean Jaurès (assassinat le 31 juillet 1914).
De nombreuses initiatives seront prises sur l’ensemble du territoire. La Fondation Jean Jaurès et la Société d’études Jaurèsienne, en particulier, sont à votre disposition pour vous accompagner dans vos projets.
Jean Pierre Fourré, auteur de « Et si Jaurès était à l’Elysée » (www.jaurescandidat2012.com) effectue une tournée de conférences – débats sur le territoire ;
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Les Editions de Matignon publient durant l’année 2014 six brochures de textes et discours de Jean Jaurès. www.editionsdematignon.com
La République et le Socialisme
Extraits du journal officiel - Discours à la chambre des députés le 21 novembre 1893
M. Jaurès. Dans l’ordre politique la nation est souveraine et elle a brisé toutes les oligarchies du passé ; dans l’ordre économique la nation est soumise à beaucoup de ces oligarchies, et, entre parenthèses, monsieur le président du conseil, il ne suffisait pas de dire à la Chambre, ce qu’elle sait amplement sans vous, que la question de la Banque de France se posera devant elle ; il fallait lui dire de quelle façon le Gouvernement entendait qu’elle fût résolue.
(Applaudissements à l’extrémité gauche et à l’extrémité droite de la salle.)
Oui, par le suffrage universel, par la souveraineté nationale, qui trouve son expression définitive et logique dans la République, vous avez fait de tous les citoyens, y compris les salariés, une assemblée de rois. C’est d’eux, c’est de leur volonté souveraine qu’émanent les lois et le gouvernement ; ils révoquent, ils changent leurs mandataires, les législateurs et les ministres ; mais, au moment même où le salarié est souverain dans l’ordre politique, il est dans l’ordre économique réduit à une sorte de servage.
Oui, au moment où il peut chasser les ministres du pouvoir, il est, lui, sans garantie aucune et sans lendemain, chassé de l’atelier. Son travail n’est plus qu’une marchandise que les détenteurs du capital acceptent ou refusent à leur gré.
Il peut être chassé de l’atelier, il ne collabore pas aux règlements d’atelier qui deviennent tous les jours plus sévères et plus captieux, et qui sont faits sans lui et contre lui.
Il est la proie de tous les hasards, de toutes les servitudes et, à tout moment, ce roi de l’ordre politique peut être jeté dans la rue ; à tout moment, s’il veut exercer son droit légal de coalition pour défendre son salaire, il peut se voir refuser tout travail, tout salaire, toute existence par la coalition des grandes compagnies minières. Et, tandis que les travailleurs n’ont plus à payer, dans l’ordre politique, une liste civile de quelques millions aux souverains que vous avez détrônés, ils sont obligés de prélever sur leur travail une liste civile de plusieurs milliards pour rémunérer les oligarchies oisives qui sont les souverains du travail national.
(Applaudissements répétés sur plusieurs bancs à l’extrémité gauche et à l’extrémité droite de la salle.)
Et c’est parce que le socialisme apparaît comme seul capable de résoudre cette contradiction fondamentale de la société présente, c’est parce que le socialisme proclame que la République politique doit aboutir à la République sociale, c’est parce qu’il veut que la République soit affirmée dans l’atelier comme elle est affirmée ici, c’est parce qu’il veut que la nation soit souveraine dans l’ordre économique pour briser les privilèges du capitalisme oisif, comme elle est souveraine dans l’ordre politique, c’est pour cela que le socialisme sort du mouvement républicain. C’est la République qui est le excitateur, c’est la République qui est le grand meneur : traduisez-la donc devant vos gendarmes !
(Nouveaux applaudissements sur les mêmes bancs.)
Et puis, vous avez fait des lois d’instruction. Dès lors, comment voulez-vous qu’à l’émancipation politique ne vienne pas s’ajouter, pour les travailleurs, l’émancipation sociale quand vous avez décrété et préparé vous-même leur émancipation intellectuelle ? Car vous n’avez pas voulu seulement que l’instruction fût universelle et obligatoire : vous avez voulu aussi qu’elle fût laïque, et vous avez bien fait. (Marques d’assentiment sur divers bancs. - Bruit au centre.)
M. Adolphe Turrel. M. L’abbé Lemire ne vous applaudit pas au mot « laïque », tandis qu’il vous applaudissait tout à l’heure. (Bruit.)
M. Louis Jourdan. Dans tous les cas, il donne un exemple qui n’est malheureusement pas assez suivi.
Il faudrait en voir beaucoup comme lui. (Bruit.)
M. Jaurès. Vous n’avez pas, comme vous en accusent souvent des adversaires passionnés, ruiné les croyances chrétiennes, et ce n’était pas votre objet. Vous vous proposiez simplement d’instituer dans vos écoles une éducation rationnelle. Ce n’est pas vous qui avez ruiné les croyances d’autrefois : elles ont été minées bien avant vous, bien avant nous, par les développements de la critique, par la conception positive et naturaliste du monde, par la connaissance et la pratique d’autres civilisations, d’autres religions, dans l’horizon humain élargi. Ce n’est pas vous qui avez rompu les liens vivants du christianisme et de la conscience moderne ; ils étaient rompus avant vous.
Mais ce que vous avez fait, en décrétant l’instruction purement rationnelle, ce que vous avez proclamé, c’est que la seule raison suffisait à tous les hommes pour la conduite de la vie. (Applaudissements sur plusieurs bancs à l’extrémité gauche et à l’extrémité droite de la salle.).