Ce mercredi 26 février le Parlement européen a adopté les cadres de ce que l’on appelle le 4ème paquet ferroviaire. Cet ensemble de 6 textes de lois (3 directives et 3 règlements), marque une nouvelle tentative de la Commission pour casser les entreprises publiques de transports de passagers par rail et pour ouvrir totalement le marché ferroviaire à la concurrence.
Depuis les premiers textes de 2001 cherchant à ouvrir d’abord le marché du fret en 2007, puis du transport international de passagers en 2010, ce sont 3 séries de lois et une refonte de tous ces textes qui ont été adoptés en un peu plus de dix ans.
Ce rythme soutenu démontre deux choses: l’obsession de la Commission à ouvrir le marché du transport sur rail coûte que coûte et l’absence total d’évaluation des conséquences des différentes libéralisations.
Les exemples sont pourtant nombreux – de la chute du fret par rail en France, aux incidents dus à l’état déplorable du service aux passagers au Royaume-Uni pour s’interroger sur le bien-fondé de cette ouverture et sur ses conséquences pour le service public du rail.
Le transport sur rail, au même titre que les connexions énergétiques et routières constitue un des maillages vitaux pour la vie des territoires et pour assurer la cohésion d’un ensemble de territoires. Des dessertes régulières et un service de qualité représentent donc un enjeu majeur. C’est ce service, que la Commission s’évertue à ouvrir à la concurrence, qui doit selon moi rester dans le domaine public.
Mais le rail n’est pas la route, il s’accompagne d’une organisation du trafic méticuleuse, d’une planification qui prend en compte les besoins de transports, les roulements et l’utilisation des trains, mais aussi leur entretien.
La Commission veut considérer le transport ferroviaire comme n’importe quelle autre industrie de « réseau » (énergie, télécommunication, poste). Pour ouvrir le marché, elle s’est donc évertuée à ménager dans les différents espaces ferroviaires nationaux des créneaux pour de nouvelles sociétés de transport aux dépens des organisations et des modèles de gestion en place.
Ce fut d’abord l’accès au réseau pour le fret.
Les planificateurs nationaux devaient permettre à des trains de fret d’autres compagnies d’utiliser leur réseau. Il fallait donc ménager des créneaux de roulements pour d’autres sociétés que la SNCF en France.
Afin de s’assurer que l’ouverture soit réelle et que l’opérateur historique, la SNCF, ne bénéficie pas d’accès privilégiés aux créneaux de roulements, la Commission a alors imposé que la SNCF se sépare de son réseau. C’est ainsi qu’est né RFF (Réseau Ferré de France). C’est une situation ubuesque puisque le réseau appartient à RFF mais ce sont des agents de la SNCF qui en font l’entretien en échange d’un paiement de RFF qui touche justement des redevances de… la SNCF.
En novembre 2011, on pousse la logique jusqu’au bout. Avec les voix de la droite et du PS on profitait de la refonte des différents paquets ferroviaires pour imposer une indépendance totale du réseau et on forçait la SNCF à donner l’accès de ses centres de réparations (payés avec nos impôts et le prix des billets de train) à ses concurrents.
Ce mépris absolu de toute une organisation technique, des schémas de cadencement développés par la SNCF, des décennies d’organisation du réseau et d’accumulations de savoir-faire industriels, de toutes les synergies développées au sein d’une entreprise intégrée comme l’est la SNCF – pour ouvrir le marché à la concurrence – démontrent une croyance quasi mystique aux vertus de la concurrence qui a connu un nouveau souffle, mercredi au Parlement européen.
Les textes adoptés avec le soutien de l’UMP et du PS et malgré l’opposition du Front de Gauche de mon groupe de la Gauche Unitaire Européenne et des Verts, sont divisés en trois volets:
Le compromis part sur une séparation organisationnelle (avec la création d’une holding qui rassemble par exemple réseau et service), mais qui entrainera toute une suite de mesures pour s’assurer que la séparation est bien effective: séparation des organes de décisions, des flux-financiers, des systèmes informatiques, et même des périodes de transition dans les transferts de personnels. Autant de choses qui compliquent toujours plus l’organisation du transport lorsque l’on part d’un système intégré comme l’est la SNCF.
Il a été adopté par 412 voix contre 146 et 106 abstentions. Seul mon groupe et les Verts ont voté contre. Les socialistes et l’UMP l’ont soutenu.
Il est adopté avec la même configuration que le volet gouvernance (PS et UMP pour, Front de Gauche de mon groupe GUE/NGL et Verts contre) : par 386 voix contre 206 et 78 abstentions. L’aile gauche des socialistes français a préféré ne pas soutenir.
Celle-ci se fait par un renforcement de l’Agence ferroviaire européenne qui sortirait de son rôle de recommandations pour émettre des autorisations de mises sur le marché des matériels, de certification de sécurité pour les entreprises, de surveillance des autorités nationales de sureté et supervision de la conformité des règles nationales avec le cadre européen (cela figurait déjà dans la refonte de 2012). L’idée est de permettre plus facilement à un train homologué en Espagne ou en Allemagne de faire des dessertes nationales en France.
Les 3 rapports de ce volet ont été soutenu à une large majorité malgré l’opposition des députés du Front de Gauche de mon groupe GUE/NGL.
Enfin ces textes sont accompagnés d’une proposition de retrait d’un Règlement qui permettait aux États de verser des compensations financières aux compagnies qui avaient des obligations financières vis-à-vis de leurs anciens salariés (comme le versement de préretraites, d’allocations familiales, de pensions d’accident du travail et autres régimes spéciaux aux cheminots).
Il faut s’arrêter ici sur la logique de ce règlement: des régimes professionnels comme celui des cheminots sont considérés comme des exceptions qui handicapent la compétitivité des entreprises comparées à celles qui ne l’appliquent pas. Donc on subventionne pour recréer un équilibre. Il suffirait pourtant d’appliquer les mêmes statuts à tous les cheminots quelle que soit leur compagnie.
Mon vote
En conséquence, je me suis donc opposé à l’ensemble de ces textes qui organisent la concurrence à tous les niveaux d’exploitations du ferroviaire de manière intrusive et remettant en cause le savoir-faire industriel de la SNCF pourtant reconnu et développé par des décennies d’expérience.
Faire rentrer la concurrence à tout prix dans un domaine aussi stratégique c’est remettre en cause les conditions de travail des personnels, la qualité du service, les financements croisés (financer les lignes peu rentables, les dessertes locales, par les lignes les plus rentables, celles à grandes vitesses) et surtout la notion même de service public.
Rappelons ce qu’est le service public
Depuis le début, la Commission demande que la SNCF abandonne notre réseau ferroviaire, pourtant un des plus développé et des plus sûr d’Europe, pour l’offrir à des concurrents qui n’ont jamais participé à son élaboration, à son entretien ou à son expansion. Les bénéfices qu’ils feront iront à leurs actionnaires, là où la SNCF finançait le service public et la continuité territoriale.
Ouvrir le transport de passagers à la concurrence, c’est remettre en cause tous ces financements croisés, c’est jeter la SNCF et les cheminots dans une concurrence effrénée.
Ce sera moins de cheminots, plus de sous-traitants, plus d’intérimaires, pour toujours plus de travail et des salaires réduits.
C’est la sécurité et le service qui passent derrière le profit.
C’est surtout la remise en cause du service public et de tout un modèle industriel.
C’est non seulement irrespectueux pour les efforts fournis par la SNCF, ses cheminots et ses ingénieurs pour faire vivre ces infrastructures, et pour les citoyens qui les ont financées, mais c’est surtout créer les conditions d’une désorganisation et de l’insécurité.
- Le rail n’a pas besoin de davantage de concurrence, il a besoin d’investissements.
- La SNCF n’a pas besoin qu’on vienne lui demander des créneaux dans ses infrastructures: elle a besoin qu’on la laisse les utiliser au mieux avec un savoir-faire industriel et managérial que beaucoup lui envient.
- Les cheminots n’ont pas besoin d’être mis en concurrence avec des sous-traitants, d’autres opérateurs, ou qu’on les surcharge de travail. Ils ont besoin d’être plus impliqué dans les choix d’orientation en ce qui concerne la gestion de leur entreprise.
- Les passagers n’ont pas besoin de nouveaux opérateurs mal coordonnés, avec des billetteries différentes, des cartes de fidélité ou d’abonnements différentes, et des trains bondés. Ils ont besoin de trains réguliers, sûrs, cadencés, avec un système de correspondances adapté à leurs besoins.
Seule une entreprise publique libérée des règles de la concurrence et avec une vraie politique d’investissement, à l’écoute des passagers et des cheminots peut faire face aux enjeux actuels de déplacement, à un prix raisonnable, de la sécurité pour toutes et tous et de l’environnement. Je continuerai donc à m’opposer à cette libéralisation insensée.